
Biographie
1975. Marie-Paule LECHALUPÉ a 34 ans. De nombreuses années de pratique picturale derrière elle. C’est pourtant cette année-là qu’elle considérait comme le véritable point de départ de sa vie de peintre et d’artiste.
L’année où elle participe, à Paris, au Salon de la Jeune Peinture: » Femmes en Lutte « , et engage sa peinture dans une voie dont elle ne se départira plus.
Des années de formation, nous ne dirons donc rien. Elle-même n’aimait guère s’appesantir là-dessus, les considérant comme des années de discipline et d’apprentissage un peu scolaires, dont elle souhaita très vite s’émanciper.
Les moyens picturaux acquis n’étaient pour elle que des outils, rien de plus. Des outils au service d’un engagement critique qui déborde le cadre étroit de l’esthétique. La peinture devient un instrument privilégié et le spectateur, actif. Au-delà de la pure délectation, qui subsiste, il doit engager une réflexion plus vaste sur certains aspects de notre société.
Cependant, rien de pesant, de didactique ni de militant là-dedans. Marie-Paule LECHALUPE avait bien trop le sens de l’humour pour tomber dans ce travers qui rend certaines œuvres des années 70 d’une si fastidieuse lecture.
Un humour très personnel donc, qui donne à son engagement critique sa couleur propre et son originalité.




Il apparaît déjà très fortement dans la série de tableaux et de sérigraphies des années 1976 et 1977 sur le thème des avions. « Sauve qui peut », « Sono gratuite en enfer », « Le trouble-fête », « Au son des coucous », autant de titres évocateurs dont l’ironie caustique prend pour cible les machines volantes et trépidantes qui perturbent si gravement la vie quotidienne de nombreux banlieusards.
On pourrait s’attendre à un expressionnisme violent, à des figures tourmentées, torturées, déformées à la manière de tant de petits Bacon qui sévissent un peu partout à cette époque. Quelques coups de brosse lyriques et violents, et voilà escamotées les difficultés plastiques du tableau. II n’en est rien. Sur le fond noir et abstrait de la toile, des figures plates aux contours fermes et nets prévu. dessinent des arabesques pleines de vie et d’imprévu.
Un sens très sûr de l’espace et de l’équilibre des masses. Autant de qualités que l’on retrouvera dans toute l’œuvre de Marie-Paule LECHALUPÉ.


Au cours de l’année 1977, un court intermède: un nouveau thème apparaît dans les tableaux de Marie-Paule LECHALUPÉ, celui des animaux.
L’humour se tempère d’une espèce de tendresse amusée. La mise en page garde toute son efficacité, tout en se faisant plus « minimale ». Toujours autant de rigueur et de tension dans la ligne qui enserre les corps, cherchant à créer le volume sans avoir recours aux jeux de l’ombre et de la lumière. L’ornement n’apparaît que le strict minimum nécessaire à l’animation des surfaces.
C’est à partir de l’été 1977, aux États-Unis, que le thème du sport apparaît dans l’œuvre de Marie- Paule LECHALUPE. Il en restera jusqu’à la fin le thème dominant.
Elle s’en est elle-même expliquée :
Le sport va constituer, à travers un renouvellement et un élargissement de tous les moyens d’expression, un terrain d’expérience et de création très fécond.
Jusqu’en 1980, la peinture continue d’occuper une place privilégiée. L’humour y conserve toute son importance.
Un humour où l’engagement féministe de Marie-Paule LECHALUPE se fait jour, mais jamais de façon outrancière.
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Dans Les « Rosettes », inspirées par cette femme hockeyeuse, comme dans les toiles qui suivront, le fond noir et abstrait disparaît. Le tableau présente un très intéressant parti pris de symétrie, dont la rigidité est rompue par une subtile répartition des masses colorées, qui brise cette symétrie des formes: on remarquera ainsi la couleur des crosses des joueuses (noire et rouge brique) qui répondent comme un écho inversé à la couleur des maillots. Dans «Jojo les gros bras », la structure du tableau joue sur la répétition de deux formes identiques, mais dont les variations colorées et ornementales évitent encore la monotonie, en créant une très intéressante variation plastique.
Aucun stéréotype, une invention constante dans les signes qui ne relève d’aucun automatisme. On en observera un exemple frappant dans la représentation des yeux des joueurs de base-ball.



L’engagement féministe apparaît de façon plus évidente dans deux œuvres parodiques de l’année 1978, « l’Amour Jadis » et « le Jugement dernier ».
Dans «l’Amour Jadis », l’espace est celui d’une Annonciation de Fra Angelico mais s’y joue un jeu qui n’a plus rien de religieux.
Une opposition très intéressante apparaît entre les diagonales des deux joueurs, l’homme et la femme, et les verticales des colonnes gothiques qui rythment l’espace.
“Annonce est ici faite par Marie-Paule que les femmes ne s’en laisseront plus compter: elles n’accepteront plus de bloquer la balle dans un jeu exclusivement réglé par “l’Homme- Ange-Prince Charmant »
Jean Lancri – Préface à l’exposition du Centre Culturel Pablo Neruda de Fontenay-le-Fleury, 1980

Mais bientôt le thème du sport revient, enrichi, au premier plan.
Enrichi d’abord par le choix des sujets : des judokas, des joueurs de base-ball, des motocyclistes, etc. La gamme des couleurs s’élargit. Ce qui intéresse Marie-Paule LECHALUPÉ, c’est l’énergie statique des personnages traités le plus souvent en gros plan.
Dans la série des motocyclistes par exemple, le casque prend une importance primordiale: masque rituel pour on ne sait quelle cérémonie barbare, coiffé de la girafe fétiche.
Vers la fin de l’année 1980, de nouvelles exigences se font jour.
« Les images, qui ne sont pas innocentes, ont modifié mes sensations. Le mouvement m’est apparu comme plus important à intégrer à une peinture jusque là statique. »



Pour traduire cette sensation de mouvement, la touche se fait plus aérienne et se trouve davantage mise en évidence. La plupart des toiles s’organisent suivant la diagonale ( « Partition pour motos. Symphonie », « Partition pour motos – concerto grosso »), opposant la masse des motards au vide de l’espace.
Les harmonies colorées s’enrichissent de modulations subtiles, non pas impressionnistes, mais visant à donner un équivalent pictural à la sensation de vitesse et de mouvement.
Au cours de l’année suivante, le mouvement devient la préoccupation centrale du travail de Marie-Paule LECHALUPÉ, en même temps que vont s’élargir ses moyens d’expression.
C’est à New York, puis à Paris, qu’elle expérimente les possibilités de la photocopie en couleur. Le mouvement créé par le déplacement de l’image photographiée, il fallait la photocopie pour le matérialiser, et engendrer ainsi un flot d’images mouvantes et multiples.

L’humour y conserve sa place et l’œil un plaisir évident devant cette fête joyeuse de couleurs et de rythmes. La rigueur plastique est cependant toujours présente : les formes géométriques simples, rectangles, carrés, trapèzes, subissent des distorsions nombreuses qui permettent d’éviter la monotonie d’une structure purement répétitive. Les préoccupations formelles débouchent sur une joyeuse activité ludique, aspect que l’artiste va d’ailleurs développer dans la suite de son œuvre.
Les tableaux peints pendant cette période vont recueillir les fruits de cette expérience nouvelle. Le geste du pinceau se fait ample, et balaie très largement la surface en bandes colorées, donnant ainsi à la couleur une signification nouvelle.
C’est ce geste qui structure les formes, par un jeu d’équilibres et de ruptures colorés, cherchant à donner un équivalent plastique nouveau des formes en mouvement.
Adieu le ton local et la ligne qui retient la couleur prisonnière ! Le blanc de la toile, subtilement nourrie de matière (Marie-Paule LECHALUPÉ accordait à la préparation des fonds une grande importance) pénètre les corps en mouvement. Mais l’équilibre de l’espace pictural reste parfaitement maîtrisé. L’image ne perd rien de sa force ni de sa lisibilité. « La rencontre des bleus et des rouges », « couleurs mouvementées » en sont autant d’exemples.

Mais la quête de Marie-Paule LECHALUPÉ ne se limite bientôt plus à la surface peinte. Elle éprouve un besoin irrésistible de sortir du cadre du tableau. Son propos s’élargit également.
« C’est à New York que j’ai pris conscience que derrière cette recherche du mouvement, quelque chose demandait à être dit: d’où venait ma fascination, partagée par des millions d’hommes ? Je sentais dans le sport l’expression d’un courant plus primitif, s’imposait à ma conscience tout un rituel, dont la fonction semblait être de canaliser une force frénétique, tant du côté des joueurs que du côté du public. »
Dans une véritable explosion créative, Marie-Paule LECHALUPÉ va utiliser tout un éventail de modes d’expression qui se complètent et s’enrichissent, pour déboucher sur la création d’un grand environnement, réalisé à l’Institut National d’Éducation Populaire de Marly en octobre 1981. Le titre même en traduit toutes les ambitions: «Du sport aux rites, parcours imaginaire et ludique ».









La multiplicité des moyens d’expression est impressionnante: outre les peintures, les sculptures et les ludographies (photocopies couleur), des collages muraux, des vitrographies (boîtes et bâtons de plexiglass), des jeux rituels. Elle aborde également le domaine de la vidéo, en coréalisation avec J.M. GAUTREAU avec la vidéo « Spots Sport ».
En 1982 et 1983, Marie-Paule LECHALUPE est pleine de projets. Elle se passionne pour la vidéo et entreprend dans ce domaine des réalisations très prometteuses.
Numérisation et conservation à la BNF
La grave maladie qui l’atteint lui laisse cependant de moins en moins de forces, malgré son courage, pour mener à bien son travail.
Elle décède le 7 juillet 1983, à l’âge de 42 ans.