Texte tiré du catalogue de 1985
« Un moment de l’activité de Marie-Paule Lechalupé s’accomplit en milieu scolaire. Plus qu’une animation, il s’agit là d’un aspect de sa recherche, qu’animent la nature de l’œuvre et le désir de l’auteur.
La passion du mouvement, les figures de la dynamique, la mise quoi intéresser, aussi les adolescents. en jeu des rites, la violence, L’humour des réalisations, ont de
Et Marie-Paule souhaite partager son enthousiasme, ses interrogations, mais encore elle entend s’inspirer des réactions des jeunes gens et plus précisément des images produites par leurs réponses.
L’utilisation de la vidéo permet le travail de l’ensemble de ces intentions. Ainsi est né le projet «concurrences » qui se réalise de septembre 82 à juin 83, au C.E.S. de la Mauldre à Maule. Il s’agit, pour l’essentiel, d’initier les élèves à diverses disciplines: théâtre, musique, arts plastiques, écriture, puis de susciter, au sein du collège, la création d’un spectacle multiforme. Éventuellement la collaboration des artistes qui animent ce projet pourrait s’ouvrir sur une production professionnelle. Marie-Paule affirme ici l’intention de fondre l’ensemble des éléments de son activité de plasticienne (tableaux, sculptures, vidéo) dans le mouvement de la recherche théâtrale.
L’atelier vidéo-art qu’elle dirige, au collège, vise donc autant la pédagogie d’une formation esthétique que l’inventaire des possibilités d’écriture du média.
Son enseignement sollicite surtout la formation de l’œil au plaisir de l’image et à la critique; simultanément se fait l’application de la dynamique ainsi révélée :
– La confrontation avec la diversité de l’œuvre et la discussion avec Marie-Paule permettent l’ébauche d’un support-fiction qui allie les désirs des élèves:
-jouer avec les images,
-danser
Et certaines lignes-forces du projet de l’auteur;
-parcours rituel, initiatique,
-parcours ludique.
On va donner à voir l’entremêlement de moments de la vie mouvementée (réveil-vol-bagarre) et de la mystérieuse réception au collège d’un nouvel élève : Le parcours drolatique d’un bizut. C’est d’ailleurs sur un semblable cheminement, à l’intérieur du collège, que sont entraînés les spectateurs lors de la réalisation du spectacle final en juin 1983.
– Rapidement s’impose une méthode : à partir du visionnement, au début et à la fin de chaque séance, des images filmées chacun peut demander le retour d’une séquence ou un arrêt sur image. C’est le moment de l’initiation à la technique vidéo : Cadrage, éclairage, mouvement de caméra…
– Marie-Paule joue finement de cette mouvance mais affirme aussi une grande fermeté de direction : – elle refuse l’installation de la répétitive satisfaction, suscite toujours la variation des actants : plongées, contre-plongées, panoramiques, traveling, gros plans, diaphragmation, lumière du jour, lumière artificielle… modèlent le jeu des acteurs mais aussi les costumes, les maquillages; elle feint d’ignorer le « scandale » lorsqu’elle décide de filmer non les corps des danseurs mais leurs pieds, les chaussettes!
L’humour de la séquence, la musique des images, réalisés au montage montrent qu’elle n’avait pas tout à fait tort. Ainsi dans l’atelier s’opère une mise en profondeur de la gamme des images que des groupes, d’ailleurs non hermétiquement cloisonnés, travaillent à produire, transformer, recréer.
Du plateau au banc de montage couve une étonnante alchimie. Le travail de Marie-Paule LECHALUPÉ en milieu scolaire permet, peut-être, d’ apercevoir quelques aspects de son projet en vidéo-art:
- Comme l’œuvre peinte, la vidéo procède de l’ironie du monde : Le film oscille du reportage à la fiction, à la transmutation plastique. Grave, humoristique, le défilement des images, quotidiennes ou stylisées, invite à un certain regard : le montage vidéo semble retrouver, renouveler l’art de la photographie.
- L’acuité de la vision est également provoquée par le passage au plan fixe qui fige un moment les qualités d’une image, avant de la fixer à nouveau au flux filmique. Cette variation sur le fluide et le fixe semble être un rythme majeur de la quête de Marie-Paule. Là s’affrontent, se fondent les techniques photographiques et cinématographiques, picturales et plasticiennes. Ici se retrouve, au plan de l’écriture, ce qui anime partiellement la thématique de certains de ses tableaux : découvrir sous le masque des images banales ou rutilantes de la modernité le rituel, le primitif.
Un jeu de miroirs où le spectateur se retrouve chose, objet et pas seulement d’une œuvre d’art, lorsque se devine comme le souvenir du chaos. Alors cette œuvre produit l’initiation de sa propre lecture et sollicite aussi bien la contemplation que la réflexion,le rire que l’inquiétude: une anthropographique re-création.
- La dialectique du mouvant et de l’instantané, le travail, tant esthétique que sémantique, du pouvoir cinétique de l’image, s’enrichit des multiples propriétés du langage vidéo, de toutes les variations de déstructuration et de recomposition que permettent notamment une table de montage, une régie :
-La solarisation amplifie l’aire du jeu des volumes, de la colorisation.
- La surimpression, son inversion, multiplient les rapports de symétrie, répercutent l’équilibre des masses
-Les touches des incrustations rythment, en contre-point, le montage.
Le feed-back favorise le modelage de la plastique. Marie-Paule semble l’utiliser comme un sas vers l’image abstraite, une mise en perspective tant des éléments du récit, que de la facture des images, un instrument de rupture mais aussi de cohésion.
- Le montage final postule un visionnement sur plusieurs moniteurs vidéo. Ce qui, probablement, caractérise le type de rapport que l’auteur veut instaurer avec son public: L’activité de la perception est tendue par le mouvement du regard mais aussi par le possible parcours dans un environnement qui peut être plastique, dramatique.
La pratique de la vidéo s’inscrit donc en continuité dans l’histoire de l’art de Marie-Paule. L’itinéraire personnel fait écho aux tensions de la recherche plastique contemporaine.
Mais un aspect original de cette évolution est certainement d’avoir valorisé l’humour et l’ironie de l’horrifique confusion des hommes et des choses, aussi d’affirmer, par la conception même du projet, l’intention d’utiliser totalement la nature du média comme support d’un art populaire.
Ainsi Marie-Paule Lechalupé appartient-elle aux précurseurs de ce qui pourra prochainement s’appeler clip-art. »
Alain Occelli
Professeur de français – 1984